Cette réflexion s’inspire largement du document Pastorat 2.0, qui analyse les mutations du ministère pastoral et la crise du modèle ecclésial traditionnel. Dans cette brochure, Christian Kuhn et Michel Siegrist soulignent que "de nombreux pasteurs se plaignent d'être des couteaux suisses", surchargés par des tâches diverses qui dépassent largement leur vocation première. Mais ce constat n’est pas nouveau, et d’autres penseurs comme Eugene Peterson ou Alan Hirsch ont déjà mis en lumière les dérives de ce modèle.
Je me souviens encore d’une conversation avec un collègue pasteur d’une église en plein centre-ville. Débordé, il enchaînait les prédications, la gestion administrative, l’accompagnement pastoral, les réseaux sociaux de l’église, la comptabilité, les formations de disciples, l’organisation des événements... "Je suis un pasteur, mais on attend de moi d'être aussi graphiste, coach, gestionnaire de crise, expert en communication et même plombier quand la salle de bain de l'église fuit !"
Son récit résume un problème bien plus large : le pastorat est devenu un métier à la fois flou et tentaculaire. Le pasteur serait-il condamné à être un "couteau suisse" aux multiples fonctions, souvent au détriment de sa propre santé spirituelle, mentale, ou familiale ?
Une charge écrasante, un modèle à questionner
L’épuisement pastoral n’est pas un phénomène nouveau. Le document Pastorat 2.0 souligne que "de nombreux pasteurs se plaignent d'être des couteaux suisses" et pointe du doigt un modèle qui mise sur l’accumulation de compétences dans une seule personne. Cette réalité découle d’une ecclésiologie encore très marquée par le modèle clérical : un pasteur formé, ordonné et employé, porteur de toutes les responsabilités de l’église. C'est la professionnalisation du ministère.
Or, ce modèle est en tension avec le Nouveau Testament. Paul nous décrit une Église où chaque croyant a un rôle actif : "Il a donné les uns comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres comme pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des saints en vue de l’œuvre du ministère" (Ephésiens 4.11-12) mais aussi "Vous, au contraire, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière" (1 Pierre 2:9). Le modèle biblique repose sur une pluralité des ministères, plutôt qu’un pasteur omnipotent, un sacerdoce universel plutôt qu'une professionnalisation de certains.
Alan Hirsch, dans The Forgotten Ways, défend l’idée que l’Église a perdu sa dynamique missionnelle en centralisant le leadership sur une seule figure. Pour lui, c’est en redécouvrant le modèle apostolique et prophétique que l’Église pourra retrouver sa vitalité.
De "couteau suisse" à "artisan du discipulat"
Plutôt que de voir le pasteur comme un expert universel, pourquoi ne pas revenir à une vision plus organique du ministère ?
Dans les mouvements missionnels et les églises organiques, le leadership est distribué. Le pasteur devient un "facilitateur de ministères" plutôt qu’un gestionnaire unique. Il accompagne, forme et libère les dons des membres de l’église. C’est l’un des piliers de Crossover : chaque croyant est appelé à être disciple et à faire des disciples.
L’approche par compétences, défendue dans Pastorat 2.0, propose d’ailleurs de repenser la formation des pasteurs : au lieu d’apprendre à tout faire, ils devraient développer leurs compétences en fonction de leur appel spécifique et travailler en collégialité.
Un changement de paradigme nécessaire
Mais comment faire ce changement ? Il passe par plusieurs réformes :
Déléguer et faire confiance : Les églises doivent apprendre à donner plus de place aux dons des membres.
Redéfinir les attentes : Arrêter d’idéaliser un pasteur capable de tout faire et accepter une répartition plus saine des responsabilités.
Favoriser la formation continue : La formation des leaders doit être adaptée aux réalités actuelles, plus flexibles et modulables.
Adopter un modèle de leadership collégial : Plutôt qu’un homme seul au sommet, un travail d’équipe qui libère les ministères.
Le pastorat "couteau suisse" est un mythe qui étouffe les vocations et conduit à l’épuisement. Il est temps de repenser le modèle pastoral non comme une charge unique, mais comme un ministère partagé. Pour cela, il faut déconstruire certaines idées héritées et revenir à une vision plus biblique et missionnelle de l'église. Un pasteur n’est pas appelé à tout faire, mais à équiper d’autres pour qu’ensemble, ils fassent grandir le Royaume.
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